Dans les villes portuaires au passé industriel chargé, comme Montréal ou Barcelone, le passage à la nouvelle économie au tournant du millénaire a précipité une foule d’usines, d’entrepôts et d’espaces dans la désuétude totale et il est devenu nécessaire de donner une nouvelle vocation à ces endroits, qui se trouvaient souvent à proximité du port. Dans le jargon des urbanistes, on dit « requalifier un secteur ».
Barcelone s’est attaqué au problème avec brio dans le quartier Poblenou où s’opère une telle transformation depuis vingt ans. Une transformation si savamment orchestrée qu’elle est devenue un laboratoire urbain vers lequel tous les yeux d’Europe sont tournés. Déjà, des leçons s’imposent du projet 22@.
Leçon #1 : il faut prendre son temps
Ce qui se fait dans Poblenou pourrait être transposé en tout ou en partie aux anciennes raffineries de Montréal-Est ou à la future requalification de l’ancien site de Blue Bonnets à l’ouest du boulevard Décarie. On se dit même que certaines des idées développées ici auraient grandement bonifié le développement de Griffintown si on avait su prendre son temps. Comme l’explique le stratège urbain François Duchastel, associé chez Voodoo Associates, dans l’entrevue qu’il nous a accordée à Barcelone en juillet 2022, l’Adjunament de Barcelona n’a pas eu peur de consulter et d’expérimenter dès le début du projet en 2001. Tout ne s’est pas fait d’un coup.
La trame en damier de Barcelone compte plus de 550 îlots de 113 mètres carrés telle que conçue par l’ingénieur Ildefons Cerdà en 1856.
Superilla = super block
Une des grandes innovations de l’expérience 22@, c’est qu’on est venu créer quelques « super-îlots » – les superillas– qui forment des regroupements de trois îlots par trois îlots, désormais perçus comme des ensembles à part entière, sortes d’enclaves sécuritaires et paisibles.
Leçon #2 : ne pas tout miser sur l’auto
Ce qui est particulièrement intéressant du projet 22@ dans Poblenou, c’est que la Ville de Barcelone s’en est fortement inspiré pour l’étendre à plusieurs autres quartiers de la métropole catalane. À l’image des superillas déployés dans Poblenou, Sant Antoni et Hostafranc, Barcelone veut désormais libérer des espaces pour les voisins et les piétons dans l’ensemble de la ville. D’autres grandes zones seront aménagées d’ici la fin de 2023. On cherche ouvertement à favoriser la vie sociale et la protection de l’environnement, au détriment de la place accordée aux véhicules à moteur. Notamment pour ce qui est de la circulation à l’intérieur des superillas. Dans les nouveaux schémas, on passe d’une circulation motorisée tous azimuts, à une circulation en mode partagé en limitant l’accès automobile presqu’exclusivement aux résidents, à vitesse réduite, à l’intérieur des superillas.
AVANT
SUPERILLA
Illustrations: Municipalité de Barcelone
Leçon #3 : consulter les gens et les faire participer
Point de vue participation publique, le savoir-faire de Barcelone est reconnu mondialement. De l’avis du stratège urbain François Duchastel, l’apport des communautés est en effet crucial au développement productif des projets de requalification.
« Je pense qu’il faut trouver des stratégies pour que les gens participent de manière concrète sans seulement être en opposition, mais de vraiment participer. Et c’est là que des projets de co-design, de coparticipation, sur des éléments spécifiques où les gens peuvent vraiment avoir un impact sur leur milieu de vie, et pouvoir dire ensuite, oui on a influencé ça. Barcelone l’a fait entre autre par quartier de la ville. Ils ont identifié une vingtaine de projets, alloué des budgets puis ouvert sur une plateforme numérique, que les gens peuvent voter pour décider. Est-ce qu’on priorise ici de faire un terrain qui deviendrait un parc planté? Ou est-ce qu’on préfère faire un espace ailleurs qui serait un espace de jeu d’enfants? Ou est-ce qu’on va plutôt enlever une voie de circulation? Les gens ont pu se prononcer. Ici ça coûterait 600 000 euros, ici ça coûterait 1.2 million, puis décider comment on alloue le budget. »
Le père-fondateur de l'urbanisme moderne
L’urbanisme a été inventé à Barcelone. Rien de moins. Son créateur est l’ingénieur civil Ildelfons Cerdà, à qui on avait confié la planification de l’Exaimple, l’extension de Barcelone hors les murailles fortifiées à partir de 1859. On lui doit donc le premier plan de développement urbain, le Plan Cerdà. C’est cette trame urbaine en damier si caractéristique à Barcelone, qui a ceci de particulier que les angles de ses îlots sont coupés à 45 degrés pour permettre une meilleure visibilité aux intersections. Il a aussi écrit Teoría general de la urbanización qui est encore enseigné dans les grandes écoles.