Un autre Miami

À l’approche du légendaire spring break de Miami, nous présentons deux inspirantes initiatives de participation publique dans la métropole floridienne. On l’oublie mais Miami, ce n’est pas que le tourisme, la plage et la démesure. Il y aussi des milliers de résidents bien ordinaires qui vivent dans des quartiers ouvriers. Deux projets de mobilisation citoyenne et de collaboration nous ont particulièrement impressionnés dans la Magic City : Little Havana et Wynwood Norte.

Complexe de logement social d’inspiration art deco, dans le quartier Little Havana de Miami.

Little Havana

Juan Mullerat est le fondateur de la firme Plusurbia Design. Il nous a fait découvrir le quartier Little Havana et nous a parlé de l’approche ultra innovante que sa firme a mise de l’avant dès 2018 pour mobiliser la population locale de la « Petite Havane », le quartier où il habite. En tout, près de 2000 personnes ont participé aux différentes étapes de ce vaste programme de participation publique dans le but de redéfinir leur quartier résidentiel. Une initiative que Juan et sa firme auront piloté pendant près de quatre ans en collaboration avec la National Trust for Historic Preservation (Fondation américaine du patrimoine). Leur rapport conjoint de 170 pages intitulé Little Havana Me Importa (La Petite Havane est importante pour moi) a été publié en juin 2019 et les changements proposés s’opèrent petit à petit depuis.

En fait, le plan de revitalisation de Little Havana est une véritable feuille de route pour la santé et la vitalité futures du quartier, élaborée en collaboration avec les résidents et les parties prenantes.

D’ailleurs, lors du dévoilement du rapport, le maire de Miami Francis Suarez a déclaré qu’aucune étude aussi exhaustive n’avait jamais été effectuée dans un quartier de Miami. « Pour moi ce plan d’ensemble est beaucoup plus qu’un simple document. Ça doit devenir réalité grâce à vous tous ».

CARREFOUR CONTINENTAL

Miami avait une population de 439 890 personnes en 2021 et une population de 6,1 millions de personnes en incluant toute l’agglomération métropolitaine de Miami-Dade, Broward et Palm Beach, ce qui la place au hutième rang aux États-Unis. Fait intéressant à noter : 72.5% de la population de Miami se dit d’origine hispanique ou latinoaméricaine.

Wynwood Norte

Dans la foulée de l’impressionant projet de Little Havana, une autre requalification signée Plusurbia est en cours pas très loin de là, dans le quartier Wynwood Norte. Cette fois la commande est venue d’un promoteur immobilier de Miami particulièrement visionnaire, qui a été séduit par l’approche de Juan et de son équipe dans Little Havana.

Avec d’autres spécialistes et consultants, on leur a donné le mandat d’être tout aussi mobilisateurs pour revitaliser ce quartier typiquement portoricain, dans lequel le promoteur détenait des intérêts. Juan Mullerat nous raconte que la toute première étape du projet étonne, tellement c’est simple: ils ont commencé par créer de toutes pièces une association de résidents et de parties prenantes aux horizons très variés. Il n’y en avait pas avant que Juan et son équipe décident de rassembler les acteurs-clés.

Le programme de participation publique a par la suite mobilisé les membres de cette nouvelle association et la population d’origine portoricaine, ce qui a permis de consigner leurs « idées-besoins-désirs-vison » et permis d’accoucher d’une vision commune pour le secteur.

Il faut dire que la Ville de Miami a cru au projet et a embarqué dans l’aventure tout autant que les citoyens. Le premier plan d’ensemble de Wynwood Norte a donc été officiellement adopté au conseil municipal l’automne dernier.

Dans le cadre de notre entretien à Miami, Juan Mullerat a parlé de l’impulsion nécessaire à ce genre d’initiatives et a beaucoup évoqué la procédure charrette pour mener des ateliers de brainstorming avec de larges groupes de personnes, une approche que COLŌKIA  aime aussi beaucoup utiliser (notre record : une charrette de plus de 150 personnes à Québec).

La procédure Charrette

On pourrait dire que la procédure Charette est une forme de « créativité équitable » qui permet à de grands groupes de traiter de plusieurs thèmes en parallèle. La technique consiste à répartir aléatoirement les participants en plusieurs petits groupes, chaque personne s’exprimant à tour de rôle, jusqu’à ce que toutes les personnes à une table aient eu la chance de contribuer pleinement.

L’idée a été développée par des étudiants en architecture au début du 19ème siècle. Ils utilisaient littéralement des charrettes pour propulser leurs esquisses d’un bout à l’autre de la pièce afin d’obtenir les approbations finales. De la même manière, dans une charrette, les idées générées par une table sont transférées au groupe suivant, pour qu’elles soient développées et/ou raffinées et finalement hiérarchisées.

Promoteurs immobiliers ou city builders?

Durant notre entrevue, Juan Mullerat a été amusé par l’expression promoteur immobilier qu’on utilise au Québec. En fait, c’est le terme promoteur qui l’a fait sourire car il est justement d’avis que les développeurs en anglais ou les promoteurs sont en fait des « city builders » pour reprendre son expression à lui et qu’on leur doit beaucoup, même si on aime bien les accuser de tous les maux en matière d’habitation. En fait, le vrai problème selon lui, c’est le « unmanaged change », c’est à dire quand la culture d’un quartier et l’apport de ses résidents ne sont pas du tout pris en compte et que le développement se fait de manière non-coordonnée.

Il nous a par ailleurs parlé du rôle essentiel des villes dans les initiatives populaires -en toute égalité et non pas comme dirigeants- et de la très grande nécessité pour les professionnels de la participation publique de rêver grand et d’avoir de l’ambition pour les communautés qu’ils desservent.

 

Trois leçons à tirer de Barcelone

Dans les villes portuaires au passé industriel chargé, comme Montréal ou Barcelone, le passage à la nouvelle économie au tournant du millénaire a précipité une foule d’usines, d’entrepôts et d’espaces dans la désuétude totale et il est devenu nécessaire de donner une nouvelle vocation à ces endroits, qui se trouvaient souvent à proximité du port. Dans le jargon des urbanistes, on dit « requalifier un secteur ». 

Barcelone s’est attaqué au problème avec brio dans le quartier Poblenou où s’opère une telle transformation depuis vingt ans. Une transformation si savamment orchestrée qu’elle est devenue un laboratoire urbain vers lequel tous les yeux d’Europe sont tournés. Déjà, des leçons s’imposent du projet 22@.

Leçon #1 : il faut prendre son temps

Ce qui se fait dans Poblenou pourrait être transposé en tout ou en partie aux anciennes raffineries de Montréal-Est ou à la future requalification de l’ancien site de Blue Bonnets à l’ouest du boulevard Décarie. On se dit même que certaines des idées développées ici auraient grandement bonifié le développement de Griffintown si on avait su prendre son temps. Comme l’explique le stratège urbain François Duchastel, associé chez Voodoo Associates, dans l’entrevue qu’il nous a accordée à Barcelone en juillet 2022, l’Adjunament de Barcelona n’a pas eu peur de consulter et d’expérimenter dès le début du projet en 2001. Tout ne s’est pas fait d’un coup.

Notre plateau de tournage dans le quartier Poblenou sur la rue de la Ciutat de Granada.

La trame en damier de Barcelone compte plus de 550 îlots de 113 mètres carrés telle que conçue par l’ingénieur Ildefons Cerdà en 1856.

Superilla = super block

Une des grandes innovations de l’expérience 22@, c’est qu’on est venu créer quelques « super-îlots » – les superillas– qui forment des regroupements de trois îlots par trois îlots, désormais perçus comme des ensembles à part entière, sortes d’enclaves sécuritaires et paisibles.

Leçon #2 : ne pas tout miser sur l’auto

Ce qui est particulièrement intéressant du projet 22@ dans Poblenou, c’est que la Ville de Barcelone s’en est fortement inspiré pour l’étendre à plusieurs autres quartiers de la métropole catalane. À l’image des superillas déployés dans Poblenou, Sant Antoni et Hostafranc, Barcelone veut désormais libérer des espaces pour les voisins et les piétons dans l’ensemble de la ville. D’autres grandes zones seront aménagées d’ici la fin de 2023. On cherche ouvertement à favoriser la vie sociale et la protection de l’environnement, au détriment de la place accordée aux véhicules à moteur. Notamment pour ce qui est de la circulation à l’intérieur des superillas. Dans les nouveaux schémas, on passe d’une circulation motorisée tous azimuts, à une circulation en mode partagé en limitant l’accès automobile presqu’exclusivement aux résidents, à vitesse réduite, à l’intérieur des superillas.

AVANT

SUPERILLA

Illustrations: Municipalité de Barcelone

Leçon #3 : consulter les gens et les faire participer

Point de vue participation publique, le savoir-faire de Barcelone est reconnu mondialement. De l’avis du stratège urbain François Duchastel, l’apport des communautés est en effet crucial au développement productif des projets de requalification.

« Je pense qu’il faut trouver des stratégies pour que les gens participent de manière concrète sans seulement être en opposition, mais de vraiment participer. Et c’est là que des projets de co-design, de coparticipation, sur des éléments spécifiques où les gens peuvent vraiment avoir un impact sur leur milieu de vie, et pouvoir dire ensuite, oui on a influencé ça. Barcelone l’a fait entre autre par quartier de la ville. Ils ont identifié une vingtaine de projets, alloué des budgets puis ouvert sur une plateforme numérique, que les gens peuvent voter pour décider. Est-ce qu’on priorise ici de faire un terrain qui deviendrait un parc planté? Ou est-ce qu’on préfère faire un espace ailleurs qui serait un espace de jeu d’enfants? Ou est-ce qu’on va plutôt enlever une voie de circulation? Les gens ont pu se prononcer. Ici ça coûterait 600 000 euros, ici ça coûterait 1.2 million, puis décider comment on alloue le budget. »

Le père-fondateur de l'urbanisme moderne

L’urbanisme a été inventé à Barcelone. Rien de moins. Son créateur est l’ingénieur civil Ildelfons Cerdà, à qui on avait confié la planification de l’Exaimple, l’extension de Barcelone hors les murailles fortifiées à partir de 1859. On lui doit donc le premier plan de développement urbain, le Plan Cerdà. C’est cette trame urbaine en damier si caractéristique à Barcelone, qui a ceci de particulier que les angles de ses îlots sont coupés à 45 degrés pour permettre une meilleure visibilité aux intersections. Il a aussi écrit Teoría general de la urbanización qui est encore enseigné dans les grandes écoles.